«Nous devons apprendre à réguler les émotions»
«Nous devons apprendre à réguler les émotions»
Par Pascale Senk – le 02/02/2015
INTERVIEW – Le Dr Stéphanie Hahusseau, psychiatre-psychothérapeute et auteur de « Un homme, un vrai. Dissiper les malentendus émotionnels hommes-femmes» (éd. Odile Jacob), explique l’importance de la pratique émotionnelle.
Le Figaro. – Pensez-vous que les stéréotypes concernant les émotions masculines soient moins forts actuellement?
Stéphanie Hahusseau. – Dire que les hommes sont «rationnels» et les femmes plus «sensibles», cela date de l’époque des Lumières! On voulait alors mettre en avant la culture, le discernement, et on y est parvenu… en muselant la vie émotionnelle. Alors que les émotions sont universelles et incontournables, la colère reste malheureusement la seule émotion dont l’expression soit acceptée, voire valorisée dans le monde masculin, où certains y voient un signe de force, de pouvoir.
C’est vrai, davantage d’hommes pleurent dans les médias, mais ce qui se passe sur des stades de foot n’est pas vraiment représentatif de la vie des foyers ou en entreprise! De plus, il reste un grand pas à faire, ce que j’explique dans mon livre: pouvoir exprimer ses émotions, cela ne suffit pas. Il faut aussi apprendre à les réguler.
Qu’entendez-vous par là?
Les récentes recherches montrent que, pour notre santé psychique et physique, nous avons intérêt à ne pas «stocker» nos émotions en les refoulant. Méconnues, les émotions incitent à passer à l’acte, à réagir. Ainsi, j’ai été blessé il y a dix ans par des moqueries, cela m’a mis en colère, fait ressentir du désespoir. Or je n’ai jamais appris à réguler mes émotions, et j’y réagis en agressant, voire en tuant. Tous, nous devons donc acquérir une véritable pratique émotionnelle. Que celle-ci ne soit pas juste l’affaire de quelques happy few.
En quoi consisterait-elle?
En consultation, j’apprends à mes patients, lorsqu’ils sentent monter en eux colère ou tristesse, à prendre un peu de temps afin de ressentir celles-ci physiquement, à travers toutes les sensations qui montent en eux, sans jugement et avec bienveillance. Et, s’ils arrivent à mettre un mot juste sur leur émotion, ils peuvent alors activer leur système naturel de récupération, qui permet un relâchement. Ainsi, nous devons apprendre à faire face à toutes les émotions qui existent en nous.
Vous montrez toutefois que les hommes ont aussi certaines habitudes émotionnelles qui seraient profitables aux femmes…
Ce qui est profitable, c’est l’équilibre entre nos tendances. Les hommes voient les sources des problèmes trop souvent à l’extérieur d’eux-mêmes et les femmes se remettent trop en question et auraient intérêt, parfois, à travailler, comme les hommes, sur les contextes. Elles ont tendance à surestimer les problèmes que les hommes ont tendance à sous-estimer. Trop souvent dans les ruminations et les anticipations anxieuses, elles doivent parfois apprendre d’eux pour revenir à l’ici et maintenant.
L’éducation émotionnelle serait donc utile pour tous?
Observer et accepter les émotions, c’est apprendre à tolérer l’incertitude, la fragilité de notre statut d’être humain. Le mode émotionnel masculin reste malheureusement encore organisé non pas autour de l’apprentissage de la tolérance à l’incertitude, mais autour du contrôle. Toujours plus de contrôle. Si bien que lorsqu’il n’est pas possible d’en avoir, la tendance est de se tourner vers des activités, des substances, des idéologies qui rassurent même si elles sont toxiques et dangereuses. Certaines mesures dans l’éducation, la santé, le droit pourraient permettre à tous d’apprendre à réguler les émotions autrement qu’en y réagissant. Je rêve qu’elles s’envisagent dans des réformes politiques.